Corps gauche - Corps droit
Notre conscience possède deux facettes comme les deux côtés d'une médaille. Mais l'une de ces deux facettes a pris le dessus. L'autre a été occultée par le mode de vie et de pensée de l'homme moderne.
Pourquoi nous sentons-nous parfois si vulnérables ?
Que l'on soit Rêveur ou non, nous sommes tous touchés à un moment ou à un autre par la sensation angoissante d'être fragiles, désarmés, décentrés. Il y a urgence à y regarder de plus près. Quiconque s'investit dans la Voie du Rêve doit s'assurer de posséder un socle solide au fond de lui pour préserver son équilibre quand survient une situation perturbante, ce qui arrive tôt ou tard. C'est une condition qui est loin d'être remplie pour la plupart des êtres humains. La consommation d'antidépresseurs, d'anxiolytiques, de somnifères, mais aussi d'alcool et de drogue en tout genre, montre que la plupart des hommes et des femmes ne disposent pas de fondation stable en eux sur laquelle ils pourraient s'appuyer face aux difficultés de l'existence. La raison cachée en est qu'ils ont banni de leur vie le corps gauche.
Les sorciers de l'ancien Mexique ne pensaient pas l'être humain selon le clivage de corps et d'esprit ou de corps et d'âme comme nous avons l'habitude de le considérer de nos jours. Lorsqu'ils utilisaient leur faculté de “Voir” l'énergie, ils constataient que le corps physique était constitué de deux types différents d’énergie, deux forces opposées et en même temps complémentaires qui coexistent côte à côte, reflétant ainsi la structure duale de tout ce qui est présent dans l’univers. Selon eux, ces deux formes d’énergie différentes formaient un corps à part entière, et ils ne parlaient jamais qu’en termes de "corps gauche" et de "corps droit" (Passes magiques: Les pratiques traditionnelles des chamans de l'ancien Mexique - Carlos Castaneda).
Qu'est-ce que le corps gauche ?
Le corps gauche en nous est un courant d’énergie turbulent et agressif. Il est agité par des ondulations constantes et projette des vagues d’énergie comme un demi-soleil avec toutes ses protubérances. Les vagues d’énergie projetées par le corps gauche sont comparables à des éruptions solaires, toujours perpendiculaires à la surface ronde d’où elles partent.
Les anciens sorciers du Mexique accordaient une importance prépondérante au corps gauche qui, du fait de la nature de sa configuration énergétique, présentait à leurs yeux une plus grande efficacité pour la réalisation de leurs objectifs ultimes. (Passes magiques - Carlos Castaneda)
Dans les livres d'Eldo Gallil, le corps gauche est surnommé “le visage effacé”. Et c'est vrai qu'il l'est ! C'est un aspect de nous en tant qu'être physique que nous avons rejeté dans les oubliettes de notre mémoire. Il correspond à notre esprit primitif et sauvage des origines, celui de l'homme ancien, préhistorique. Ses marques distinctives sont son silence, sa force tranquille et son parfait détachement vis-à-vis de lui-même. C’est cette part de nous qui est "lourde", obscure, indifférente, et qui s'enracine dans l'instant présent. Elle sait prendre du bon temps et affronter les aléas avec un sentiment de sérénité, car elle est reliée à tout. Elle prend plaisir aux choses sans les espérer.
Qu'est-ce que le corps droit ?
Le courant d’énergie du corps droit bouge en nous comme de l’eau dans un récipient qu’on a doucement agité d’un mouvement de va-et-vient. Il n’y a pas de vagues, mais une sorte de roulis continu. À un niveau plus profond, cependant, il est animé de tourbillons qui s’enroulent en forme de spirale. (Passes magiques - Carlos Castaneda).
Le corps droit prédomine dans notre existence de tous les jours. Il est associé à l'hémisphère gauche du cerveau et à la partie droite du corps physique. Du point de vue énergétique, c'est un flux qui possède un mouvement circulaire, ce qui est pratique pour l'introspection. Cela nous permet de réévaluer nos actes et nos comportements en société. Le corps droit a un penchant pour la vitesse et pour se donner des objectifs. Il adore tout ce qui est harmonieux, symétrique et répétitif. C'est de lui que vient notre obsession des rythmes et de la mesure du temps. Il est cet esprit en nous qui est léger, évaporé, agité, plein de vitalité. Il s'aime, car qu’il est peu sûr de lui-même et ne prend plaisir à rien, simplement parce qu’il est incapable de se relier à quoi que ce soit. Il se sent solitaire, superficiel, vulnérable.
Sommes-nous ondes ou particules ?
On retrouve cette dualité énergétique corps gauche-Corps droit dans le Yin et le Yang du taoïsme chinois. Elle est également présente dans la description que font les scientifiques contemporains du cerveau avec son hémisphère gauche et droit. Sur ce sujet, il y a le livre “Voyage au-delà de mon cerveau” de Jill Bolte Taylor, une neurobiologiste américaine renommée qui y relate son expérience suite à un AVC (sa conférence sur YouTube).
Et pour ceux qui s’intéressent à la connaissance issue de l’Égypte antique, on retrouve dans les romans d’Eldo Gallil ce dualisme à travers les concepts de Djet, “le Rayonnant”, et de Neheh, “le Tournoyant”. Dans son lexique en fin de livre, l'auteur va jusqu’à évoquer un parallèle avec les notions d'ondes et de particules de la physique moderne.
Le bannissement du corps gauche
Durant la préhistoire, la mort était omniprésente et exerçait en continu une pression sur toutes les créatures vivantes, ce qui stimulait et enrichissait leur conscience. Les humains qui étaient des chasseurs-cueilleurs devaient être extrêmement attentifs à leur environnement pour survivre face aux nombreux prédateurs qui existaient à cette époque. Ils étaient en permanence concentrés sur leurs perceptions pour pister leur gibier, déchiffrer les traces laissées par leur proie, interpréter la moindre odeur, le moindre bruit. Pendant des centaines de milliers d'années, le corps gauche fut au premier plan. Par conséquent, les pensées étaient réduites au strict minimum pour que les femmes et les hommes ne perdent jamais de vue les dangers qui rôdaient autour d'eux. Leur instinct affûté (la connaissance silencieuse) leur conférait une grande confiance en eux pour surmonter toutes les crises climatiques qu'ils eurent à traverser. Puis, à la période dite du néolithique, il s'est passé quelque chose qui a tout changé. Progressivement, le corps droit a pris le dessus sur celui de gauche, Neheh sur Djet, au point que ce dernier a été banni et oublié. Le psychologue américain Julian Jaynes avait théorisé ce changement en parlant d'effondrement de l'esprit bicaméral.
L'homme primitif qu'on dit “sauvage” a laissé place à l'homme civilisé ou plutôt “domestiqué”.
L'âge noir
Pour désigner notre époque, les hindouistes évoquent le “Kali Yuga”, également nommé “l'âge noir”, car, durant cette période, disent-ils, les gens sont aussi éloignés que possible des Dieux... mais surtout de leur corps gauche. Celui-ci est le plus à même pour nous faire accéder au silence intérieur et au corps de Rêve. Il constitue un socle infiniment plus stable et plus solide que le corps droit pour affronter les turbulences qui ne manqueront pas de se manifester dans le cours de notre existence. Quand le monde autour de nous est bouleversé, lors d'une pandémie par exemple ou lors d'une crise économique ou encore lors d'une guerre, les gens paniquent et perdent la tête parce que leur esprit est confiné dans Neheh (le corps droit) et qu'ils ont délaissé Djet (le corps gauche).
L'énergie du corps droit imprime son mouvement circulaire
au flux incessant de nos pensées.
Celles-ci tournent en boucle dans notre tête.
Pourquoi nous sentons-nous parfois si déprimés ?
Un peu partout sur terre, et ce depuis des milliers d'années, l'éducation que nous recevons renforce le déséquilibre en nous du corps droit sur le corps gauche. Ce dernier a quasiment sombré dans l'oubli. C'est d'autant plus vrai dans les sociétés urbaines. En raison de sa nature tourbillonnante, le corps droit est obnubilé par les objectifs à atteindre. À peine a-t-il obtenu ce qu'il voulait qu'il désire déjà autre chose. À peine est-il arrivé à son but qu'il repart aussitôt vers un autre, quel qu'il soit. Tout comme Sisyphe, nous sommes condamnés jusqu'à notre dernier souffle à poursuivre cette course en avant absurde qui ne fait que tourner en rond en réalité. Quand on a passé toute sa vie ou presque du côté droit, ce qui est le cas pour la majorité des être humain d'aujourd'hui, fatalement, à un moment, quelque chose en nous déraille et glisse de manière inéluctable vers l'angoisse ou l'affolement. On se dit que ça ne tourne plus très rond en nous. D'où l'explosion des prescriptions d'anti-dépresseurs et d'anxiolytiques. Par ailleurs, la société moderne a tout prévu pour parer à ces malaises passagers, il met à notre disposition de quoi nous étourdir: alcools, drogues, loisirs. Oublier à tout prix que nos vies reposent sur du vide.
Cette impression d'absurdité qui nous envahit parfois, ce malaise insidieux d'angoisse diffuse qui nous fait vaciller, ce sont des signaux que nous envoie la mort. Elle nous prévient que nous ne sommes pas équilibrés. Nous sommes comme ces bateaux qui gîtent dangereusement sur leur flanc droit et qu'une vague plus forte peut faire chavirer.
Il est urgent de retrouver cette part essentielle en nous que nous avons rejetée : le corps gauche.
Le mental cherche toujours à nier le moment présent et à s'en échapper.
Autrement dit, plus on est identifié à son mental, plus on souffre.
(Le Pouvoir du moment présent - Eckhart Tolle)
Imaginez un iceberg dérivant sur l'océan. Il ne connaît que sa partie émergée et ignore tout de celle sous la surface de l'eau. Il appelle ça "l'Inconscient". Il se fait beaucoup de soucis pour sa survie face aux vagues, aux vents, au soleil. Puis, un jour, il prend soudain conscience de l'immense masse de glace qui se trouve sous l'eau et qui lui appartient. Une glace qui s'est formée durant des siècles plus tôt. En tant qu'iceberg, il serait certainement rassuré d'avoir recouvré la totalité de son être.
Maintenant, imaginez que vous êtes cet iceberg. Jusqu'à présent, vous n'étiez que la partie émergée (le corps droit). Si vous ralentissez et faites silence en vous, vous pourrez sentir l'énorme masse qui se cache sous la surface de votre "petit ego". Une masse d'expériences accumulées durant des centaines de milliers d'années. Voilà ce qu'est le corps gauche et ce n'est pas une vue de l'esprit. C'est bien réel. Il est là, niché dans nos profondeurs, serein, silencieux, immuable et très lourd, ce qui est réconfortant du point de vue de notre équilibre intérieur.
Les fondations cyclopéennes et antisismiques du corps gauche
Le corps gauche nous enracine
Le corps gauche possède certains aspects qui permettent de le repérer malgré sa très grande discrétion. L'un d'eux est son ancrage dans le moment présent comme l'arbre dans la Terre. De ce point de vue, les enfants sont assez proches de leur corps gauche. Pour eux, le temps ne s'écoule pas de la même façon que pour leurs parents. En avançant en âge, sous la pression extérieure et intérieure (mental), l'enfant, devenu adulte, délaissera son corps gauche pour privilégier celui de droite. Dès lors, le temps lui semblera passer de plus en plus vite. Pour se caler sur le rythme du corps gauche (ou son absence de rythme), on doit lâcher prise et "ralentir" notre vitesse intérieure et extérieure. Le côté droit quant à lui a tendance à vouloir aller vite pour atteindre le but qu'il s'est fixé.
Une fois que le corps gauche émerge de sa réclusion, immédiatement notre respiration change. Elle devient plus ample en partant du ventre. Une relaxation profonde s'installe en nous et l'on peut prêter attention à notre perception, aux éléments de notre environnement, aux sons, à la façon de marcher et à la manière dont nous nous tenons. Progressivement, le voile terne et monotone qui recouvre le monde qui nous entoure s'effrite et se désagrège. C'est comme passer du noir et blanc à la couleur en même temps que de la 2D à la 3D. Les choses que l'on observe commencent à avoir de la profondeur, du relief, du brillant, de la vie.
Observer les animaux est un bon moyen pour prendre conscience du corps gauche
Une autre caractéristique très importante du corps gauche est son aptitude à se sentir bien. Il possède de manière innée une parfaite confiance en sa force, quelle que soit la situation dans laquelle il se retrouve impliqué. C'est d'ailleurs grâce à la prédominance de leur corps gauche que les animaux peuvent supporter l'existence parfois insoutenable que nous leur faisons subir.
Dans l'enfer de la guerre qu'a créée la folie meurtrière des hommes,
le seul être noble, c'est le cheval.
George Bernanos sur la guerre 14-18
Et si vous vous intéressez aux animaux guérisseurs et à cette capacité qu'ils avaient dans les temps anciens pour nous servir de modèle, vous pouvez visionner sur YouTube les vidéos de Dexie, la chienne thérapeute ou celles sur Sora, une chienne huski. L'intelligence instinctive de Dexie pour guérir ses semblables, malades de leur cohabitation avec les humains, est stupéfiante autant qu'émouvante.
Shemsou Hor
Par Jeff Dahl — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=3380125
Le Lieu sans pitié
Un moyen efficace pour ne pas perdre de vue le corps gauche est décrit dans le “Visage effacé” d'Eldo Gallil. Il s'agit d'un état d'esprit nommé “Ashem” ou “l'œil du Faucon”. Le terme Ashem serait dérivé du cri de guerre que lançaient les Shemsou Hor ou “suivants d'Horus” à l'époque de l'Égypte antique. Il s'apparente à une colère froide et détachée. C'est un sentiment d'être impersonnel qui éloigne les pensées débilitantes dont nous abreuve sans cesse le mental. Ashem correspond à ce que le Nagual Don Juan Matus appelait le “lieu sans pitié” dans le livre “La Force du Silence” de Carlos Castaneda. Le “lieu sans pitié” ou implacabilité est le premier principe de la sorcellerie, disait le Nagual Don Juan Matus. Il est le marchepied qui nous fait accéder au corps gauche.
«Neheh, Ashem et Djet, voilà le redoutable trident de la Puissance. Je te le confie, sers-t’en !»
Le visage effacé - Eldo Gallil
Shemsou Hor
Par Jeff Dahl — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=3380125
Entendez-vous le murmure du corps gauche ?
«Prends du bon temps ! Ne t'en fais pas ! Profite ! Ne pense plus au passé ni au futur! Ralentis !
Prends tes aises, dilate-toi ! Répands-toi dans tous les recoins, tous les interstices de l'instant présent. C'est si bon de vivre...»
Pour aider :
La sublime chanson "Lâchons prise" du duo Terrenoire et, dans un autre genre, le clip de la sécurité routière avec l'humoriste Djimo (un modèle de "slow attitude" pour Philéo !)
