Le parcours de Philéo
Voilà plus de quarante ans que Philéo suit la Voie du Rêve.
Il raconte ici quelques étapes de sa longue expérience.


Comment tout a commencé...
Dans mon cas, c'est après avoir lu les livres du Nagual Carlos Castaneda que j'ai entamé l'aventure du Rêve lucide. Les instructions que j'y ai trouvées ne m'ont pas paru trop compliquées. Avant de m'endormir, je devais tout bonnement m'ordonner de regarder mes mains en rêve. Parfois, cela marchait, mais pas autant que je l'aurais voulu. Cependant, j'ai poursuivi cette quête avec tout ce qu'elle impliquait, car en plus de me fournir un but à atteindre, j'ai senti qu'elle donnait un sens à mon existence.
Assez rapidement, j'ai abandonné tous les tests de réalité que je faisais en journée. Au bout d'un moment, j'ai constaté qu'ils ne marchaient plus et qu'ils étaient fondés sur une connaissance erronée de la conscience et du Rêve. Je me suis plutôt tourné vers des activités qui favorisaient la concentration et le silence intérieur, comme les "non-faire", la contemplation, les "passes magiques" et la récapitulation.
Des débuts mouvementés
Dès que je prenais conscience dans un songe ordinaire que j'étais en train de Rêver, le vide se faisait autour de moi. Ainsi, si je me trouvais dans une rue quelconque, celle-ci était déserte.
Mais, très rapidement, des voix ou des rires retentissaient au loin ou dans une rue adjacente. Et finalement, des gens ou des enfants apparaissaient... de plus en plus nombreux.
Ils s'efforçaient de capter mon attention, allant jusqu'à m'encercler. Si je ne faisais rien, ils se pressaient contre moi. Je n'avais pas d'autres choix que de me réveiller pour leur échapper. J'avais l'impression de me retrouver dans un film de zombies ou de vampires.

Durant des années, mes rêves lucides furent systématiquement perturbés par ces présences importunes et déstabilisantes. Je parvenais parfois à les disperser en utilisant la "Volonté" : ce pouvoir qui jaillit du ventre sous la forme d'une sensation particulière et qui peut bouger les objets à distance. Mais, du coup, je perdais de vue ma tâche de rêve. Pour finir, je glissais dans un songe ordinaire ou je me réveillais. Et, de toute façon, ces “intrus” revenaient toujours. Je leur criais de me laisser tranquille. Sans résultat.
Une fois, tout de même, l'un de ceux qui me collaient m'a expliqué qu'il ne pouvait pas agir autrement.
J'ai alors compris que c'était à moi de changer et que ce changement impliquait de remettre en question certains aspects de ma personnalité.


Je me suis donc attelé à la tâche d'observer mon état d'esprit et certains de mes comportements de ma vie quotidienne. J'ai pris conscience que le problème venait principalement de l'importance que j'accordais aux relations avec mes proches et avec les gens en général.
Mon besoin de plaire et de me faire aimer donnait trop de poids aux personnes avec qui j'entrais en contact. Le seul moyen, selon moi, pour régler ce problème a été soit de consulter un psy ou d'entamer une récapitulation, ce merveilleux procédé que nous ont légué les sorciers de l'ancien Mexique.
J'ai donc opté pour la seconde solution et progressivement l'ambiance de mes Rêves lucides s'est nettement améliorée.
Personnellement, j'accomplis la récapitulation le plus souvent dans un caisson en bois suffisamment spacieux pour m'y tenir en position de tailleur. Cet espace confiné permet une meilleure concentration. Mais il m'arrive de le faire dans d'autres endroits, en voiture, et même à l'air libre si le besoin s'en fait sentir.

La récapitulation m'a énormément aidé dans ma vie de tous les jours en me rendant plus léger, plus fluide. Elle a contribué à libérer ma pratique de Rêver des entraves qui la faisaient stagner, notamment les "nœuds de souffrance" en moi qui appâtaient les émissaires inorganiques, comme le miel attire les mouches (voir la page du site "Les êtres inorganiques"). De plus, en récapitulant toutes mes relations intimes, sexuelles ou non, j'ai pu me débarrasser de ce besoin que j'avais de vouloir fusionner avec l'autre. Je recherchais dans la présence d'un ami ou d'une compagne ce “double”, cette âme sœur, qui me manquait tant (en réalité, c'était mon corps de Rêve qui je recherchais sans le savoir). Quand j'avais quelqu'un à mes côtés, j'avais l'impression d'être plus complet, plus audacieux, plus entreprenant, alors que, seul, je me sentais coincer dans la timidité et dans cette sensation pénible de vulnérabilité.
Très important également, la récapitulation a fait naître en moi un sentiment d'identité impersonnel qui a contrebalancé mon ego, quant à lui très personnel. Ce dernier, le mal nommé “petit moi”, occupait jusqu'alors toute la place. C'est comme si avait émergé de dessous l'immense tas de souvenirs et d'émotions accumulés une conscience “froide”, affranchie de la socialisation et de l'attachement au passé. Ma force vitale et mon être véritable.
J'ai tenté la méthode WILD
Très longtemps, je me suis efforcé d'être conscient en m’endormant. Je croyais qu’à force d’insister, je finirais bien par y arriver. L’idée d’être capable de glisser dans le sommeil en gardant toute ma lucidité me séduisait énormément. J’étais animé par la certitude qu’en arrêtant de penser et de me parler à moi-même jusqu’aux limites de la somnolence, je devrais basculer en Rêve en pleine conscience. Mais, en dépit de tous mes efforts, à un moment donné, je perdais le fil et sombrais dans l’inconscience. Je m’obligeais à me réveiller plusieurs fois dans la nuit pour reprendre un peu de contrôle et recommencer. Le plus souvent, cela n’aboutissait à rien. Je finissais toujours par m’assoupir sans garder ma lucidité. Tout ce que j’obtenais en agissant ainsi, c’était de faire des rêves bizarres.
Mon acharnement n'a fait que perturber mon sommeil naturel.
Et un jour ou plutôt une nuit, l’insomnie m’est tombée dessus et ne m'a plus lâché.
La galère !
Ç’a été éprouvant.
J’ai dû faire marche arrière et revoir ma copie.

J’ai finalement accepté de faire confiance à mon corps d’énergie. Il a dû entendre les appels répétés que je lui adressais, car il s’est rapproché de moi au point de s’insinuer jusqu’à la lisière du réveil.
Cela se manifeste de deux façons dans mon cas :

La première se produit généralement en pleine nuit. Je me réveille, mais mes paupières demeurent fermées. Je perçois alors un son bref qui se reproduit à intervalles réguliers, toutes les deux secondes environ. C’est une sorte de claquement sec dans le creux de l’oreille. La plupart du temps, ce bruit me suscite un tel étonnement que j’ouvre les yeux. D’autres fois, je parviens à garder mon calme tout en restant vide de pensées, et hop, je passe dans mon corps de Rêve.

La seconde est arrivée au bout de quelques décennies de pratique. Toutefois, la prémisse était survenue à mes débuts dans la pratique du Rêve lucide après un songe étrange au cours duquel je pouvais voir le vortex d’énergie (Chakra) en forme de spirale au front des gens ainsi qu'au sommet de leur tête. Le matin, à mon réveil, je percevais au milieu de l’écran obscur de mes paupières closes un rond lumineux entouré de cercles concentriques qui a persisté par la suite. C'est ce qui est couramment appelé “le troisième œil”. Mais ce n’est que bien des années plus tard que j’ai pu tirer profit de cette “singularité”. En fin de nuit, lorsque je remonte à la surface de l'éveil, des scènes plus ou moins évanescentes m’apparaissent dans ce “troisième œil” tandis que mes paupières demeurent closes. Si j’ai assez d’énergie à ma disposition, il suffit que je me concentre sur un élément qui compose la vision pour pénétrer en elle.
Sexualité et Rêve font-ils bon ménage ?
Je l'avoue, j'adorais faire l'amour. J'ai donc longtemps focalisé mon attention sur le sexe opposé. Du coup, il m'a été très difficile de me passer de toutes activités sexuelles. Et, comme l'avait prédit le Nagual Don Juan Matus, l'attachement à la sexualité que j'entretenais en parallèle avec ma pratique de Rêve lucide m'a entraîné par deux fois à des épisodes dépressifs. Le pire étant que, dans les deux cas, après m'en être sorti, je suis reparti de plus belle dans mes obsessions libidinales. Quand tout va bien, j'ai tendance à redevenir stupide.
Mais comment aurais-je pu me priver du plaisir si intense que procure la sexualité alors que je le considérais comme étant un des piliers de mon “bonheur”?
Sans lui, la vie me paraissait insipide et sans intérêt.
Jusqu'à cette nuit où j'ai fait un rêve perturbant...
Dans ce rêve, je regardais un homme à une dizaine de pas.
Je savais que cet homme, c'était moi.
Sa tête était enveloppée d'une petite brume sombre qui lui faisait comme un halo de noirceur autour du crâne.
Quelques jours après cette vision dérangeante, j'ai traversé une période de “sinistrose” avec perte du goût de vivre. Quand j'ai fait le rapprochement entre le rêve et le mal-être qui a suivi, il y a eu comme un déclic en moi : je devais mettre un terme à toutes ces pensées d'ordre sexuel qui nourrissaient ma libido et rendaient instable mon point d'assemblage (ou Ânkh, comme l'appelaient les anciens Égyptiens, si l'on en croît Eldo Gallil dans ses romans).
Mais pas que !
J'ai dû également arrêter de lorgner les rondeurs féminines.
Dans le même temps, j'ai commencé à prendre en considération la présence de mon corps de Rêve dans mon existence quotidienne, comme un compagnon de route à mes côtés (ou plutôt derrière moi, voir la statue huastèque sur la page “Le corps de Rêve”).
Quand j'ai vraiment cessé de focaliser mon attention sur le désir sexuel, ma pratique du Rêve a bénéficié d'un nouvel élan.


Antywy : Horus et Seth unis et réconciliés
La nécessité pour un Rêveur de distinguer le corps gauche du corps droit
Dans ma jeunesse, une femme de pouvoir m'a indiqué que l'énergie du corps gauche et celle du corps droit étaient entremêlées en moi et que je devais apprendre à les distinguer pour pouvoir les séparer afin qu'ils forment deux entités différentes. Sur le moment et longtemps après, j'ai négligé son message. Pourtant, tout comme Obélix, j'étais tombé dans la marmite dans mon enfance (la marmite ici, c'est le corps gauche). À la suite d'une chute brutale tandis que je jouais, j'avais perdu connaissance. En fait, pas tout à fait. Pour ceux qui m'entouraient et qui m'avaient secouru, je paraissais bel et bien évanoui, alors qu'en réalité j'étais pleinement conscient. J'étais "un autre moi". Je baignais dans une suprême sérénité. J'étais détaché de tout, silencieux, paisible. Et le plus étonnant pour moi, ce fut la sensation de maturité et de force qui m'avait investi et qui n'était pas vraiment compatible avec mon âge à ce moment-là. C'était comme si le petit caniche bien docile que j'étais ressentait soudain sa part de loup sauvage en lui. Malheureusement, en sortant de mon évanouissement, j'ai relégué cet étrange épisode dans l'oubli et avec lui cet aspect de moi qui s'était réveillé, mon corps gauche.
Cette expérience que j'ai vécue dans l'enfance ressemble à celles que traversent certaines personnes lors d'un accident de voiture ou d'un accident vasculaire cérébral, comme ce fut le cas de Jill Bolte Taylor, la neurobiologiste américaine citée sur la page du site "Corps gauche-Corps droit".
Grâce aux livres du Nagual Carlos Castaneda et à ceux, plus récents, d'Eldo Gallil, j'ai fait le rapprochement entre cet état de conscience singulier provoqué par ma chute et le corps gauche.
Il m'a fallu tout de même des années d'introspection et de travail acharné sur moi pour intégrer le fait que le corps gauche ou Djet était toujours là, présent en moi, quoique très discret, et qu'il était ce soubassement immuable de stabilité sur lequel je pouvais m'appuyer.
Quand j'entendais parler de la réaction de panique des gens lors d'un attentat meurtrier, j'étais convaincu qu'en de telles circonstances je saurais garder mon sang-froid. Mais le jour où la mort a essayé de m'emporter, j'ai moi aussi cédé à l'affolement. J'ai assisté à l'effondrement de l'idée que je me faisais de moi-même et qui ne reposait sur rien de solide. Après avoir passé le plus clair de mon temps dans le corps droit, par imitation, puisque c'était ce que faisaient les personnes autour de moi, il était urgent que je m'occupe sérieusement de ce que m'avait suggéré la femme de pouvoir dans ma jeunesse, autrement dit que je sorte mon corps gauche de son bannissement.

Pourquoi paniquons-nous
devant le danger ?

Dans mon quotidien, j'avais l'habitude de me déplacer en marchant vite, avec la tête un peu en avant, comme si j'étais pressé et que j'avais un train à prendre. De plus, sans même m'en rendre compte, je crispais les épaules en les soulevant légèrement. Quand j'ai commencé à les détendre et à percevoir leur poids, j'ai senti que je m'ancrais davantage dans la terre. Du coup, je me tenais plus droit et ma poitrine se bombait. Après quoi, tout naturellement, mon allure est devenue plus nonchalante, et en quelque sorte plus “lourde”. Mes hanches ont adopté un mouvement chaloupé, ce qui malaxait mon ventre. Ce dernier est bien plus que le lieu de la digestion. Il est le centre de notre “noyau dur”, là où se situe le “lieu sans pitié” ou Ashem. Cette zone est nommée Dan Tian, “Océan de l’énergie” par les taoïstes. Hara chez les Japonais. La force vient du ventre, disent ces derniers.
Cette posture physique plus ramassée, plus décontractée que j'ai adoptée a modifié mon état d'esprit.
Djet et Neheh (corps gauche - corps droit) se sont équilibrés en moi. J'ai eu l'impression de me rapprocher de mes lointains ancêtres préhistoriques et de l'esprit qui les animait alors.

Ma rencontre avec les êtres inorganiques
Dès le début de ma pratique, les émissaires du monde inorganique se sont glissés dans mes Rêves lucides pour attirer mon attention. Parfois, ils se montraient envahissants et agressifs, comme je l'ai décrit plus haut. D'autres fois, ils agissaient avec plus de discrétion et de douceur. Ils se sont également manifestés de manière concrète dans ma chambre en faisant du bruit ou en venant me toucher et même à l'occasion en laissant des traces de leur passage.

Les émissaires inorganiques qui me visitent en Rêve ou dans les états proches du Rêve prennent souvent la forme d'oiseaux ou d'objets étranges avec lesquels je peux dialoguer. D'autres fois, ils adoptent une apparence plus ou moins humaine qui allume mon intérêt... et souvent mon désir.

La belle et la bête.
Les êtres inorganiques recherchent avidement mon énergie et moi la leur. Toutefois, à l'intérieur de ces échanges, la communication n'est pas toujours bonne entre eux et moi. Ce qui peut se comprendre puisque nous appartenons à des mondes différents. Les malentendus ont été nombreux aux débuts.
Le monde derrière la deuxième porte de Rêver
Après des décennies de pratique, quand les êtres inorganiques m'ont enfin accordé le visa d'entrée pour visiter leur monde, j’ai commencé à faire des Rêves où je me trouvais face à l’ouverture sombre d’une grotte ou d’un édifice ancien, ou en haut d’un escalier descendant vers des profondeurs inquiétantes, remplies de ténèbres. Je n’étais pas très chaud dans la plupart des cas pour m’y engager.

Lorsque j’en ai eu le courage, l’obscurité finissait par laisser place à la clarté. Je découvrais alors un décor qui pourrait paraître plutôt ordinaire : une ville, des rues, des maisons, des sortes d’églises, des statues, des arbres, des magasins, et des tas de gens vaquant à leur activité. Curieusement, il existe en nous une étrange faculté qui s'arrange toujours pour transformer l'inconnu en chose connue.

Rien de choquant ou de déstabilisant donc, au premier coup d’œil. Hormis, peut-être, la sensation bizarre et très difficile à décrire que j’éprouvais sur la peau et dans la bouche. Cela ressemblait vaguement à de l’électricité. Un peu comme cette curieuse démangeaison que l’on ressent lorsqu’on pose la langue sur les lames en laiton d’une pile plate. Assez vite, l’étrangeté s'est révélé à travers certains monuments dont l’architecture et l'ornementation me semblaient singulières ou dans l’apparence biscornue de personnages que je croisais (genre ambiance du purgatoire dans le film "Beetlejuice" de Tim Burton).

J'aurais dû me comporter avec calme et assurance, comme le préconisaient les sorciers de l’ancien Mexique dans ce genre de situations. Mais, dans les premiers temps, je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir de l'anxiété. Du coup, au bout d’un moment, je devenais le centre d’intérêt des gens qui m’entouraient et qui étaient tout naturellement attirés par mes flamboiements énergétiques provoqués par la peur.
L’atmosphère était de plus en plus oppressante.
Je me sentais épié.
Je n'avais plus qu'une envie alors, c'était de me réveiller ou de changer de Rêve.
Ce n'est que lorsque j'ai suffisamment développé en moi un sentiment d'identité impersonnel que j'ai pu poursuivre avec plus de sérénité mon voyage au sein du royaume des êtres inorganiques.
L'aventure continue...
L'énergie est la monnaie d'échange dans l'Univers. En aurais-je suffisamment pour aller jusqu'au bout de cette aventure ?
Et, surtout, aurais-je assez de détachement pour ne pas céder aux tentations auxquelles m'expose le monde derrière la seconde porte de Rêver ?
À suivre...
